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1 - Entre 1845 et 1889 : l’ACV, un projet en gestation
C’est donc dans ce contexte de structuration de la profession, et par cette envie des vétérinaires de ne parler que d’une seule voix, que la future ACV est en train de naître. Elle représentera le succès des parisiens, et leur volonté de faire émerger une instance nationale sous leur contrôle. Le contentieux avec la province ne sera pas soldé et nous assisterons à l’émergence de deux instances nationales : le Grand Conseil, sous contrôle provincial et l’ACV, sous contrôle parisien.
1.1 Un projet difficile à concrétiser entre conflits d’intérêt et lutte d’influence
Vers 1850, c’est précisément Urbain Leblanc (Photo 1), « praticien éminent et altruiste » qui prône le premier, la création, avec le concours du corps enseignant de l’école d’Alfort et des vétérinaires parisiens, d’une société de prévoyance, noyau futur d’une association générale.
Leblanc fonde plusieurs journaux dont La clinique vétérinaire en 1843, journal de médecine et de chirurgie comparées. Il veut que ce journal serve également de correspondance entre les vétérinaires praticiens. « La clinique devra faire des efforts pour préparer une association générale de prévoyance et de secours mutuels ».
C’est la première évocation de la future ACV mais le projet est prématuré et ne reçoit nul écho.
En 1857, Jean Lafosse, professeur à Toulouse, propose la création d’une Société de secours mutuel des vétérinaires français.
Le premier réseau fédératif au niveau régional est ainsi formé. Il regroupe avec succès, un an après sa création, cinquante membres de l’Ouest et du Sud-Ouest. Mais Henry Bouley, parisien, n’y est pas favorable et se déclare hostile au principe d’association. Il juge une telle société «inutile et inapplicable». L’initiative a en effet échappé aux Alforiens, qui ne veulent pas être des suiveurs.
Mais Bouley jouit des faveurs de l’Empire. Il permet ainsi aux Parisiens de reprendre l’avantage et cette initiative à leur compte. En effet, en 1862, sous l’effet de cette concurrence provinciale, la Société impériale et centrale de médecine vétérinaire (ancêtre de l’académie vétérinaire), saisie par Eugène Renaud, en accord avec Urbain Leblanc et Henri Bouley, décide la création d’une société générale de prévoyance et de secours mutuels entre tous les vétérinaires de France.
Officiellement, cet acte fondateur résulte de la demande pressante à Eugène Renaud, inspecteur général des écoles vétérinaires, des vétérinaires de Haute Normandie, en conflit avec les pharmaciens de Rouen à propos de la préparation et de la vente de médicaments destinés aux animaux. En réalité, il s’agit d’une opportunité de ressusciter l’ancien projet d’Urbain Leblanc, soucieux d’unir les praticiens parisiens et le corps enseignant d’Alfort dans une association locale, futur noyau d’une association générale qui serait sous le contrôle parisien.
La proposition de Renaud fut adoptée au cours de la séance du 10 juillet 1862 et une commission désignée pour jeter les bases de la future association. Le 11 septembre 1862, les statuts de la future association sont présentés aux vétérinaires de la Seine et 57 d’entre eux votent à l’unanimité la création d’une « Association de prévoyance et de secours mutuels des vétérinaires de la Seine».
Le gouvernement impérial, ne voyant pas d’un bon œil les regroupements, n’accorde son approbation qu’en 1865, la première assemblée générale a donc lieu le 27 avril de cette année. Les provinciaux ne se voient attribuer que peu de place car y siègent déjà, deux Bouley, Leblanc père, Benjamin, Barthélémy, Renault, Lecoq. Le rôle essentiel de l’association est de susciter la fondation d’associations locales de prévoyance et de secours mutuels dans chaque département. Les vétérinaires ne pouvant pas s’associer dans leurs régions peuvent s’unir à l’association centrale siégeant à Paris. Urbain Leblanc se déplace dans les sociétés de province pour y apporter son aide. Les Parisiens jouent le rôle de mentors. Mais malgré cela, en 1870, l’association parisienne végète.
Lecoq, Leblanc, Bouley et Benjamin sont les présidents successifs de cette association. Mais en 1876, à son accession à la présidence, Benjamin prend conscience de la nécessité de la réformer.
En 1878, la tenue de l’exposition universelle redonne une chance à l’association. En effet, un congrès invitant tous les confrères est organisé afin d’examiner les questions relatives à la profession dont la question des associations. Cette proposition émane de Paris mais la province n’y est pas hostile sauf la Société de médecine vétérinaire de Lyon et du Sud-est, présidée par le « célèbre » Quivogne. Parmi les résolutions adoptées figure celle de former dans chaque région des associations de prévoyance et de secours et que toutes ces sociétés se mettent en rapport par des délégués qui fixeront le chiffre d’une cotisation annuelle, modérée et uniforme pour toute la France. La première à donner l’exemple est la société de prévoyance et de secours mutuels de la Seine. Elle regroupe les départements limitrophes de Seine-et- Marne, Seine-et-Oise, Oise, Eure-et-Loir et Loiret, sous le contrôle parisien.
Pour compliquer encore la situation, deux réalités s’affrontent. Le quotidien des praticiens de la France profonde, « des vrais hommes de terrain », aux revenus médiocres ayant des revendications mais des difficultés à se faire entendre, s’oppose à l’élite parisienne, inscrite dans divers réseaux scientifiques et mondains, comme Bouley par exemple, se croyant habilité à parler au nom de la profession.
C’est dans ce climat de concurrence entre Paris et la Province que la future ACV émergera.
1.2 La concurrence du Grand Conseil
L’ACV va naître de cette lutte pour prendre les rênes de la profession, entre les provinciaux qui tiennent le Grand Conseil, et les parisiens.
En effet, en 1879, sur les bases d’un projet de Quivogne, le lyonnais, les statuts du Grand Conseil des vétérinaires sont établis par les délégués des associations. Toute société, tout en conservant son autonomie, s’engage :
Cette structure n’a pas de siège fixe. Il s’agit d’un système d’assise tournante, manière d’empêcher l’instauration d’un comité de direction à Paris. Le Grand Conseil est sous le contrôle des provinciaux, notamment Quivogne. C’est leur première victoire sur les Parisiens. En effet, d’après ce dernier, les membres du comité, « représentant diverses régions de France, ne connaîtraient-ils pas mieux les aspirations et les besoins de notre corps professionnel que la plupart de nos confrères de Paris qui ne connaissent que les Boulevards ».
Le rôle du Grand Conseil est d’étudier les différentes questions d’intérêt professionnel et d’en suivre la réalisation auprès des pouvoirs publics. Force de réflexion, de proposition et d’intervention, il devient le représentant légitime de la profession en tant que mandataire institutionnel d’un corps constitué.
Le Grand Conseil connaît des succès comme le vote de la loi sur la police sanitaire en 1881. Il rencontre aussi des échecs comme la lutte contre les empiriques. Il est, en tout cas, le premier organisme représentatif de la profession, syndicat avant l’ heure, reconnu comme un interlocuteur valable par les autorités. En recueillant les desideratas de chacun, il réinterprète une vision commune et participe à construire une identité vétérinaire. Cependant, toute la profession n’a pas répondu à l’appel de l’unité. Ainsi, 49 sociétés sont affiliées au Grand Conseil en 1888 : un tiers des sociétés n’en font donc pas partie. De plus, près de la moitié des vétérinaires n’adhèrent à aucune société.
D’autre part, des luttes d’influence entre Paris et la province continuent au sein du Grand Conseil et le fragilisent. Ne contrôlant pas le Grand Conseil, les vétérinaires parisiens mènent une bataille pour le neutraliser voire l’éliminer par des critiques et des attaques permanentes. Pour cela, ils disposent de leur propre association, l’Association de prévoyance et de secours de la Seine conjointement avec la Société de médecine vétérinaire pratique de Rossignol.
Ainsi, le 30 décembre 1888, à l’insu du Grand Conseil, ces deux Sociétés adressent une circulaire aux autres sociétés et associations vétérinaires pour les consulter sur l’opportunité d’une Association générale, et le cas échéant, chacune devait désigner deux délégués pour les représenter à Paris.
Pour finir de convaincre son monde, la société locale de secours mutuel de la Seine offre sa trésorerie à la future association soit 13 500 francs. Le Grand Conseil condamne cette initiative. Chaque camp reste sur ses positions et Gaston Percheron, non sans hypocrisie, écrit: « J’ai bien peur que nous attendions longtemps encore avant d’être en possession d’une vaste association confraternelle telle que la comprennent ceux de nous qui ne sont mus que par un intérêt d’ordre philanthropique ».
Entre le Grand Conseil et la société de prévoyance et de secours de la Seine, c’est l’impasse. Chacun se targue d’être unioniste et accuse l’autre de se livrer à un travail fractionnel, d’être séparatiste.
L’explication décisive a lieu en 1889, au Congrès de Marseille. Les vétérinaires parisiens déploient les grands moyens en déléguant Nocard pour défendre leur cause. Ce dernier est en effet directeur de l’école d’Alfort, il est réputé dans les milieux scientifiques comme un grand savant et auréolé d’un grand prestige. Renaud l’accompagne en tant que représentant de la société vétérinaire pratique.
Ils proposent la création d’une association générale uniquement consacrée aux secours, et totalement indépendante du grand conseil qui conserverait entièrement ses attributions pour toutes les autres questions professionnelles. Les vétérinaires parisiens y voient un moyen d’affaiblir l’autorité du Grand Conseil en lui ôtant ses activités de bienfaisance. Mais en vain, car Quivogne mène la résistance et fait échouer cette tentative déguisée de prise de pouvoir.
Les parisiens entrent alors ouvertement en dissidence. Pour cela, ils s’appuient sur trois publications qui sont à leur dévotion: le Recueil de médecine vétérinaire (sous la responsabilité de Bouley puis Nocard), La Semaine vétérinaire (rédacteur en chef, Gaston Percheron) et La Presse vétérinaire (sous la responsabilité de Rossignol père). Ainsi, les Parisiens créent l’association générale des vétérinaires de France et appellent les sociétés de province favorables au projet d’unification, à une réunion constitutive d’association générale le 27 février 1889.
Le 9 mai 1889, la société de prévoyance de la Seine et des départements limitrophes renonce à exister comme société locale et adopte les statuts de l’association générale dont elle contribue à former le premier noyau par l’apport de son capital et l’adhésion de ses membres. Les statuts sont publiés dans le Recueil de médecine vétérinaire, le 1er juin 1889.
L’ACV est née.
Le 21 juin, l’autorisation officielle est accordée, le 4 septembre, la première assemblée générale se tient pendant le congrès vétérinaire international et élit son conseil d’administration.
Le conseil d’administration est composé de quinze membres et verrouillé par les membres des deux sociétés parisiennes mais les statuts prévoient que les associations locales peuvent s’agréger à l’association générale en conservant leur autonomie et leur parfaite indépendance. Camille Leblanc est élu président, Hippolyte Rossignol, secrétaire général et Capon, trésorier.
En 1889, l’ACV est donc née d’un tour de force des parisiens sur le Lyonnais Quivogne. Son rôle initial dépasse le cadre d’une société de secours et de prévoyance. Il est équivalent à celui du Grand Conseil et vise autant à l’affaiblir qu’à le court-circuiter, notamment sur ses activités de bienfaisance.
Selon les premiers statuts constitutifs du 27 février 1889, comme il est écrit à l’article 2, le but unique de l’ACV est de « secourir les sociétaires malheureux, leurs veuves, leurs enfants et leurs ascendants ». Il est néanmoins déjà prévu à l’article 25, qu’une « Caisse de retraite des Vétérinaires de France sera constituée aussitôt que les circonstances le permettront». Cela montre bien l’intention des fondateurs de donner à l’Association un rôle national qui dépasse les activités de bienfaisance malgré les apparences.
De plus, la volonté de créer une association « centrale », c'est-à-dire nationale, est clairement affiché à l’article 4 : « Les Associations locales déjà créées ou qui pourraient se fonder par la suite, peuvent s’agréger à l’Association générale ; elles conservent leur autonomie et leur complète indépendance ». Les fondateurs de l’association voulaient donc pour l’ACV, le rôle d’une instance nationale, et la légitimité de parler au nom de la profession.
Au cours de l’assemblée générale du 28 octobre 1891, le nom d’Association Centrale des Vétérinaires est adopté ainsi qu’une modification des statuts en vue d’obtenir la reconnaissance d’utilité publique. Le mot « centrale » confirme la volonté des parisiens de regrouper autour d’eux, les associations de province.
2 - La reconnaissance d’utilité publique : 1892
La reconnaissance d’utilité publique est accordée par décret le 2 avril 1892. Elle donne à l’association les perspectives d’un avenir prometteur. En effet, nombre de sociétés de province avaient végété, impuissantes, faute de ressources à remplir leur mission de bienfaisance.
L’ACV étant reconnue d’utilité publique, elle bénéficie d’un régime fiscal particulier. En conséquence, elle a désormais la possibilité de recevoir des legs et dons, exonérés de droits de mutation. Elle est la seule association vétérinaire à disposer de cette reconnaissance, ce qui constitue pour elle un véritable atout